Je ne suis pas concerné par le risque d’une crue majeure sur Paris

Je ne suis pas concerné par le risque d’une crue majeure sur Paris

2012 New York, 2013 les Pyrénées et une alerte très chaude sur Paris (il a manqué trois jours de précipitations pour déclencher une grande crue), 2014 la Grande Bretagne et les Balkans. Faut-il continuer d’ignorer le véritable risque en région parisienne ?

Résumons-nous. Paris est en plaine. En amont, une zone de 200 km de coté en forme d’entonnoir en pente douce ; dans la ville, un parcours de la Seine d’une centaine de mètres de large, parfois moins. Dans le Val de Marne transformable en lac, des infrastructures essentielles (l’eau, …), dans les Hauts de Seine, les méandres de la Seine exposent une zone économique sans équivalent. Le scénario est lent, très lent, le débit de la Seine sera multiplié par dix. En schématisant un peu, on peut distinguer quatre zones. La première, les pieds dans l’eau, où tout sera coupé et inaccessible ; la seconde, très large, à pied sec mais sans réseaux (énergie, télécom, chauffage, …) ; la troisième, encore plus loin, dont les réseaux fonctionnent mais dans la nasse des transports bloqués et du désordre général ; la quatrième, au large, où tout à l’air normal sauf… ce dont je dépends, mes clients et fournisseurs, ma logistique, mes collaborateurs, ma famille….

Une crue devrait plutôt se déclencher pendant la période froide ou au printemps. Montée des eaux (de l’ordre de 50 à 80 cm par jour, peut-être plus), les quais et voies sur berges sont inondés. Les prévisions (à 2 jours, pas plus) sont à la hausse. Les médias feront leur travail au fur et à mesure que l’eau monte. En sous-sol, les premières mesures de protection sont prises, puis…. on ne sait pas.

Personne ne peut prédire la hauteur d’eau maximum que nous aurons. Pire, personne ne peut prédire comment nous allons gérer tout cela. Pour éclairer le phénomène, établissons deux scénarios : le premier, « au mieux », c’est-à-dire en considérant que face à une hauteur d’eau élevée (comparable aux événements survenus autour de nous ces derniers mois), nous nous comportions de manière parfaite, idéale… Le second, « au pire »,  avec les mêmes hypothèses de crue, envisage un cafouillage général, à tous les étages…

Au mieux : L’eau monte… Les cellules de crise des pouvoirs publics, impeccablement coordonnées et transparentes, placées hors des zones sensibles, informent les populations et les entreprises, en leur donnant une lecture simplifiée et réaliste de la situation, des prévisions et des conséquences pratiques. Les cartes sont à jour, les applications smartphone développées par les Opérateurs d’Infrastructure Vitales fonctionnent. Dès lors, sentant qu’il y a un pilote dans l’avion, les différentes couches de la société prennent leurs dispositions dans le calme. La mise en place des édifications et barrières de protection (sur plus de 400 points stratégiques, métros, parkings, etc..) est vécue comme une preuve de confiance dans le pilotage des opérations. Les particuliers concernés expédient dans le calme les enfants en région, dans la famille, qui pourront être scolarisés sur place grâce au plan B de l’éducation nationale. Comme prévu et annoncé, l’électricité est brutalement coupée sur une large zone le long du parcours de la Marne et de la Seine. Dans l’intervalle, les pouvoirs publics et les collectivités ont géré les écoles, les hôpitaux, les crèches, les infrastructures, …Les entreprises, qui ont compris que la crise durera au moins plusieurs mois, ont déménagé leurs activités critiques hors zone. L’informatique a été basculée, les personnels savent travailler à distance, chacun a pu s’organiser dans le calme pour vivre au chaud et travailler efficacement pendant environ 2 mois. L’eau, qui continue de monter entraîne la fermeture des gares, des ponts. Du Havre à Troyes, La France est coupée en deux, les cours d’eau infranchissables, mais les impacts logistiques ont été anticipés grâce à une communication duale (particuliers et entreprises) efficace. L’intervention coordonnée d’équipes de secours et de soutien venant de l’étranger permet de limiter les impacts. Quand l’eau redescend, une dizaine de jours plus tard, on découvre que les protections ont tenu malgré la pression de l’eau : pas une fuite, pas un oubli, pas une malveillance, les infrastructures ont été épargnées. Aucun problème de maintien de l’ordre non plus, aucun pillage, pas de pollution, pas d’impact sanitaire…. Le démontage des barrières est engagé, les vérifications techniques rondement menées… pas de dégâts, pas d’effondrement ni d’affaissement. La remise sous tension de la maison Grand Paris se fait sans problème, les services reprennent (eau, chauffage urbain, enlèvement des déchets…) invitant les populations et entreprises à reprendre leurs activités à l’identique. Les visites de sécurité des immeubles sont effectuées en un temps record. Les affaires continuent, la saison touristique est préservée, le marché de l’immobilier particulier et d’entreprise est intact, nous sommes prêts pour une seconde crue, la confiance règne, la Bourse monte….

Au pire : la montée des eaux est mal anticipée, mal annoncée, mal communiquée. Prises de court, les populations et les entreprises, s’affolent, voire paniquent à la vue de la mise en place des spectaculaires protections et édifications. Les particuliers tentent de quitter la zone alors que les gares et certains axes routiers sont déjà fermés. La pagaille générale s’installe. Les entreprises tentent, elles, de rentrer vers leurs sites pour y prélever tout ce qui est indispensable pour travailler loin et longtemps. Les réseaux (énergie, télécom, ..) tombent sans prévenir ou presque. Partout où l’énergie fonctionne encore, le personnel manque, les camions sont bloqués… Comprenant que cela va durer des mois, les entreprises procèdent à des extractions de matériels et d’équipements et quittent massivement la zone à l’annonce de la destruction partielle des infrastructures : les barrières de protection n’ont pas résisté, les sous-sols parisiens sont ennoyés. Le pompage prendra des mois, aucun délai n’est annoncé pour la remise en état.

Les collaborateurs sont expédiés loin du centre-ville pour « un certain temps ». Les enfants en province, les familles sont écartelées pendant des mois, la contestation s’installe, y compris dans l’entreprise. Plusieurs années de réparation sont annoncées pour remettre en état gares, tunnels, métros, infrastructures diverses. Certaines chaussées s’affaissent, les immeubles sont fissurés ou s’effondrent, certains ponts fragilisés resteront fermés.

La saison touristique est perdue, les entreprises qui ont survécu s’enracinent loin des zones touchées. Informatique, sièges, équipements industriels, tout ce qui ne peut pas être déménagé en deux jours a définitivement quitté la zone. Un séisme sans précédent touche le marché immobilier. La valeur des appartements, maisons et immeubles de bureau dans la zone est en chute libre alors que les crédits tournent. Le secteur de l’assurance est mis à l’épreuve, les provisions techniques sont impactées, et malgré les mécanismes de réassurance et de solidarité, une crise financière s’installe. Avec le départ de milliers de salariés et d’enfants, une certaine forme de désorganisation du territoire se répand. Les métropoles autour de Paris sont surchargées : Lille, Le Mans,… voient leur activité augmenter sensiblement. La confiance mettra des années à revenir, en attendant la prochaine crue. Les milieux d’affaires et les investisseurs sont perplexes….

Nous n’aurons ni l’un ni l’autre de ces scénarios. La différence entre ces deux scénarios, largement partagés par les spécialistes de ce dossier, repose uniquement sur la performance d’ensemble des acteurs publics et privés. Ce qui peut arriver ne dépend, au fond, que de nous, sauf à considérer que nous ne sommes pas concernés par le risque de crue majeure sur Paris.