Retour sur le passage à l’an 2000

A l’approche des 20 ans de cette opération, voici quelques informations complémentaires sur ce que j’ai vu tout au long de cette mobilisation. Je suis par ailleurs tout à fait favorable à l’ouverture de mes archives si un journaliste veut faire un dossier complet pour les 20 ans.

Souvenons nous d’abord du contexte, nous sommes en 1992, ni les offreurs (constructeurs et éditeurs) ni les utilisateurs n’ont spécifié le bon passage à l’an 2000 dans les spécifications, il en découle qu’il s’agit d’une erreur collective et non (encore) d’un manquement qui a pour conséquence essentielle de reporter la totalité de la responsabilité financière en cas de catastrophe vers les régimes d’assurance RC pro des SSII et constructeurs qui ne résistera pas. Axa est l’assureur le plus exposé. Le risque de l’immobilisme technique (et financier) est donc insupportable pour l’économie tout entière. Par ailleurs, comme nous avons une échéance fixe devant nous, il faut donc caler le dispositif sur les derniers de la classe et non les premiers pour être certain que l’immense majorité des corrections soient faites dans les temps. C’est en éclairant ces quelques principes simples que je fût très fermement invité à agir par les entreprises PSA et Autoroutes Area, mi 1993 environ. Il faut également se souvenir que le Clusif a été créé par les assureurs en 1983 via l’Apsaird (aujourd’hui la fédération des assurances) dont Axa est l’acteur très majoritaire. En 1993, le Clusif devient autonome, le sujet An 2000 arrivera un an plus tard au bureau du Clusif ou les assureurs siègent, je prends la présidence de la commission An 2000 pour un travail d’éclairage technique et juridique avec un objectif : comment mettre tout le monde au travail et aboutir dans les temps. Le rapport sera achevé en 1995 (rapport disponible au Clusif), il distribue les tâches et responsabilités sur tous les acteurs, assez logiquement. Début 1996, le chargé de mission du Cigref décède brutalement, le groupe de travail en place ne compte que 10 entreprises environ, le président du Cigref (Axa) me demande de rejoindre le Cigref (en CDI et non CDD…).

Le dispositif du Cigref se met en place (les premières estimations sont loin de la réalité (voir JT TF1), (groupes de travail, programmes de TV (nous n’avons pas youtube !), nous faisons appel au même juriste que le Clusif dont les positions sont équilibrées (chacun corrige en responsabilité ce qu’il a fait) et reprises. La passe d’armes Syntec/Sfib/Cigref a lieu en janvier 1997. La campagne est lancée dont l’objectif est d’achever tous les travaux avant l’échéance. Mais les travaux sont très en retard dans les PME et administrations qui sont hors Cigref et surexposent sérieusement les assureurs et l’économie. Je publie en urgence un ouvrage pour les PME chez Eyrolles.

Peu après la création du Medef qui fait suite au Cnpf, le Numéro 1bis du Medef, par ailleurs président de la Fédération des Sociétés d’Assurance et ex DG d’Axa (donc le patron de mon président au Cigref) m’exfiltre manu-militari pour mettre en place le dispositif national. A ce moment les US ont envoyé une délégation de sénateurs pour évaluer chaque pays et reconsidérer (éventuellement) leurs positions en matière d’investissement et de participations des fonds de pension US. Il faut donc montrer que le projet est sur les rails et que nous avons compris. Le rapport (disponible ici) est rédigé par Bercy et un tour de table économie/finance (hors organismes professionnels informatique).

Les US ont une position en matière de pilotage nettement plus marquée que nous, le président Clinton a signé le Clinton Act qui réduit la responsabilité des fournisseurs qui parlent (nous ne sommes pas allés jusque là !) mais nous devons nous aligner (il est fait mention de ce volet de la crise qui ouvrira droit aux garanties financières page 148 du même rapport). Le Comité National Passage à l’an 2000 ouvert par le premier Ministre fin 1998 et présidé par le ministre de l’économie (et non de l’industrie) a pour objet de mobiliser dans un contexte économique incertain en termes de responsabilité (intérieur et international).

Il faut également assurer la mobilisation en région ce qui sera fait par le tour de France An 2000 du Medef (sur 8 mois environ), les mairies (fiches pratiques de l’Association des Maires de France début 1999), la CGPME, les experts comptables pour que chacun fasse ce qu’il a à faire avant l’échéance. Je suis ensuite détaché auprès du Cabinet à Bercy pour finaliser le dispositif d’assistance à chaud (qui ne servira pas) et organiser la cellule crise « entreprises ». Pas ou peu de dégâts en dehors de 2 cas particuliers (voir enquête de rue 89). L’opération Y2k France a coûté environ 8 à 10 milliards d’euros.

J’assume entièrement le fait d’avoir peut-être été un peu rugueux lors de cette mobilisation, mais nous sommes dans un pays où mobiliser toutes les couches de l’économie nécessite, vous en conviendrez, un déploiement d’énergie considérable, surtout si on veut respecter les délais. Sauf à refuser la mission, il est donc possible de respecter ces délais, on peut assez facilement la comparer à la mise en place de l’Euro (qui n’a pas été non plus un long fleuve tranquille) et à contrario le retard sur la mise en place du RGPD ou du prélèvement à la Source, très mal parti pour l’instant. Qu’aurions nous dit si seulement 15 % des entreprises (qui se déclarent prêtes RGPD) avaient correctement basculé à l’Euro ou 15 % seulement des feuilles de paye correctement calculées au 1er janvier 2000 ?

Il y a beaucoup à raconter sur cette opération dont on se moque encore aujourd’hui alors qu’elle a permis de tenir les délais, je suis à la disposition des journalistes qui souhaitent méditer..